J’ai été élevée dans une de ces familles conservatrice. Des bourgeois si l’on peut dire. Je n’ai jamais manqué de rien. Mon père était chirurgien-cardiologue à l’hôpital de Boston et avait hérité de ses propres parents quelques biens immobiliers. Il gagnait suffisamment bien sa vie pour permettre à maman de ne pas travailler et de s’occuper de moi. Moi sa fille unique. La prunelle de ses yeux. Elle se comportait sans cesse comme elle n’avait que moi au monde, délaissant parfois papa. Bien que je fusse très jeune je voyais le regard triste de papa, j’entendais ses silences, je sentais sa peine. Il ne disait rien bien sur, il aimait bien trop maman pour ça.

Puis il est tombé malade. J’avais douze ans. Quand il me l’ont annoncé tous les deux ça m’a fait un tel choc ! Ce soir là j’ai eu mes premières règles. J’ai du subir un deuxième choc. Maman m’a révélé que j’étais une sorcière, tout comme elle. Il était temps de commencer mon apprentissage. Elle m’a d’abord enseigné les bases et surtout la première de toutes les règles : ne jamais en parler à qui que ce soit. La prudence est mère de sureté disait elle. Elle m’a appris à faire léviter des petits objets, puis elle m’a appris à créer des sources de lumière et de chaleur, à matérialiser de l’eau et à faire se mouvoir la terre. Elle m’a inculqué le respect des êtres vivants quels qu’ils soient : humains, animaux, végétaux, minéraux. Mon père est mort l’année de mes treize ans. Maman a cessé de m’enseigner la magie pendant plusieurs mois, le deuil étant trop lourd à porter. On ne comprend combien on tenait aux choses que lorsqu’on les perd. Elle s’en voulait d’avoir été si peu présente auprès de papa. Et je ressentais le poids de sa culpabilité.

L’année de mes 17 ans la grande révélation a fait son œuvre. Le monde savait pour la magie et les êtres surnaturels. La prudence était plus que jamais de rigueur. Personne ne devait savoir. Maman continuait à m’enseigner la magie dans le plus grand secret. Prenant de plus en plus de précautions, parfois trop. Trop n’est jamais assez. Répétait elle. Malgré tout elle m’a appris tout ce qu’elle savait, et ce jusqu’à l’âge de 22 ans lorsque j’ai quitté son toit pour vivre de mes propres ailes.

Maman est morte le mois dernier. Une terrible perte que j’ai ressenti jusque dans ma chair. J’ai revendu la maison familiale et mis fin au bail de mon appartement. Trop de souvenir tristes m’attachaient à cette maison et j’avais tout de même envie d’espace. J’ai à présent assez d’argent pour m’acheter une belle maison. J’ai hâte d’avoir mon chez moi à moi toute seule.